LES EDITIONS DU PETIT BOIS
les les quatrains d'Omar Khayyam
poète qui vécut entre Nishapour et Samarcande au 11ème siècle
Adaptations françaises de Draz Petel
Si ferme et assuré que tu sois, ne cause de peine à personne ;
Que personne n’ait à subir le poids de ta colère.
Si le désir est en toi de la paix éternelle,
Souffre seul, sans que l’on puisse, ô victime, te traiter de bourreau.
Bois du vin…c’est lui la vie éternelle,
C’est le trésor qui t’es resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre,
Seul sans ami, sans camarade et sans femme ;
Surtout, ne dévoile ce secret à personne :
Les tulipes fanées ne refleurissent jamais.
Je ne sais si celui qui façonna mon être
M’a préparé une demeure dans le ciel ou en enfer ;
Mais un peu de nourriture, une bien-aimée et du vin au bord de la prairie,
Cela me suffit…gardes pour toi ce Ciel qui n’es que promesse.
La journée est belle, la douce brise est pure,
La pluie a lavée la poussière qui souillait les roses,
Le rossignol dit à la fleur, en son antique langege sacré
« toute ta vie, enivre-toi de musiques et de parfums »
le vin est interdit car tout dépend de qui le boit :
de son caractère et de la compagnie qu’il choisit.
Ces trois conditions réunies, peux-tu me dire :
Qui donc bois du vin, si ce n’est le sage ?
Lève-toi, donne moi du vin, à quoi bon discuter,
Ce soir ta petite bouche suffit à tous mes désirs.
Sers-moi du vin rose comme tes joues
Et que mes remords soient aussi légers que tes boucles.
Malheureux, le cœur sans passion
Qui ne connaît les charmes de l’amour.
Si tu passes une journée sans amour,
A quoi te sers-t-il que le soleil se lève et se couche ?
Va t’asseoir et bois ! Heureux comme le sultan n’a jamais été.
Ecoute les chants d’amour, de vrais psaumes de David.
Ne porte ton regard ni vers hier, ni vers demain,
Profites simplement de l’instant, c’est le secret de la paix.
Un quignon de pain, une gorgée d’eau fraiche,
L’ombre d’un arbre, la lumière de tes yeux !
Aucun sultan n’es plus heureux que moi.
Aucun mendiant n’es plus triste.
Au printemps, je vais parfois m’asseoir au bord d’un jardin
Lorsqu’une jeune beauté m’apporte une coupe de vin,
Je ne pense guère au salut de mon âme.
Si alors je m’en préoccupait, je vaudrait moins qu’un chien.
« l’amant et l’ivrogne iront en enfer »…
comment croire un tel discours ?
si tous ceux qui s’aiment ou boivent allaient en enfer,
le paradis, comme la paume de ma main, serait bien désert.
Avant que le destin ne te frappe à la tête,
Ordonne de nous servir du vin couleur de rose
Te crois-tu donc un trésor, pauvre sot,
Et que l’on te déterrera après t’avoir enseveli ?
Ils disent « son Dieu, c’est le vin » et bien oui, c’est ainsi.
Ils disent « c’est un débauché, un ivrogne » et bien oui, c’est ainsi
Chacun s’est fait une idée sur mon compte.
Que m’importe, ni pire ni meilleur, je suis ce que je suis.
Le temps défile à vive allure ? sois sans peur.
Et le bonheur n’est pas éternel ? sois sans peur.
Profite de l’instant que tu vis maintenant,
Sans regret ni regard vers le ciel, sois sans peur.
Vois-tu ces deux ou trois imbéciles qui gouvernent le monde
Et qui, dans leur ignorance, se croient les plus savants.
Ne t’en fais point de soucis, dans leur orgueil
Ils déclarent hérétiques tous ceux qui sont moins des âne qu’eux.
Le sage ne distingue pas la tristesse de la joie, le bien du mal.
Le sage sait que tout commencement appelle une fin
Alors as-tu vraiment raison de te réjouir de ce bonheur survenu,
Ou de te désoler de ce malheur qui te surprend.
Comme s’écoule l’eau du fleuve et souffle le vent du désert,
A vive allure, nos jours s’enfuient.
Mais il est deux moments qui ne méritent pas mon attention :
Celui qui est passé hier et celui qui viendra demain.
Prétendre trouver la paix ici-bas : folie
Croire en la promesse d’un repos éternel : folie
Après ta mort, ton repos ne dureras pas, tu renaîtras
Dans un touffe d’herbe piétiné ou dans une fleur bientôt fanée
Une telle odeur de vin embaumera ma tombe,
Que les passants en seront enivrés.
Une telle paix émanera de ma tombe,
Que les amants ne pourront s’en éloigner.
Ces grands seigneurs, si fiers de leur noblesse,
Sont tant rongés par les soucis que la vie leur est une charge.
Le plus risible, c’est leur façon de mépriser
Les hommes qui ne sont pas comme eux, esclaves de leurs passions.
cultiver la joie et goûter à la douce boisson, voilà mon opinion.
Ne m’occuper d’aucune sorte de croyance, voilà ma religion.
Quand à ma fiancée la Vie je demande quoi lui offrir,
« la paix de ton cœur , voilà mon seul désir »
Adaptations française d'Amin Maalouf
Lève-toi, nous avons l’éternité pour dormir !
Est-ce la pauvreté qui m’a conduit vers toi ?
Nul n’est pauvre s’il sait garder ses désirs simples.
Je n’attends rien de toi, sinon d’être honoré,
Si tu sais honorer un homme droit et libre.
De temps à autre un homme se dresse en ce monde,
Etale sa fortune et proclame : c’est moi !
Sa gloire vit l’espace d’un rêve fêlé,
Déjà la mort se dresse et proclame : c’est moi !
Goutte d’eau qui tombe et se perd dans la mer,
Grain de poussière qui se fond dans la terre.
Que signifie notre passage en ce monde ?
Un vil insecte a paru, puis disparu.
Rien, ils ne savent rien, ne veulent rien savoir.
Vois-tu ces ignorants, ils dominent le monde.
Si tu n’es pas des leurs, ils t’appellent incroyant.
Néglige-les, Khayyam, suis ton propre chemin.
Echange ton turban contre du vin
Et sans regret coiffe-toi d’un bonnet de laine !
Ceux qui ont amassé tant de connaissance,
Qui nous ont conduits vers le savoir,
Ne sont-ils pas noyés eux-mêmes dans le doute ?
Ils racontent une histoire, puis ils vont se coucher.
Tu demandes d’où viens notre souffle de vie.
S’il fallait résumer une trop longue histoire,
Je dirais qu’il surgit du fond de l’océan,
Puis soudain l’océan l’engloutit à nouveau.
Le Ciel est le joueur, et nous, rien que des pions.
C’est la réalité, non un effet de style.
Sur l’échiquier du monde Il nous place et déplace
Puis nous lâche soudain dans le puits du néant.
Si tu ne sais pas aimer, à quoi te sert-il que le soleil se lève et se couche ?
La caravane de la vie,regardes-la, comme elle passe
De chaque instant, saisi la joie !
Ne te soucie pas, ô Sâqi, du lendemain de tes convives
Tends-nous la coupe, verse le vin, écoutes moi, la nuit s’en va
Du vin ! Qu’il soit aussi rose que tes joues
Et que mes remords soient aussi légers que tes boucles.
Auprès de ta bien-aimée, Khayyam, comme tu étais seul !
Maintenant qu’elle est partie, tu pourras te réfugier en elle.
Je dissimule ma tristesse,
les oiseaux blessés se cachent pour mourir.
Passe le temps béni de ma jeunesse,
Pour oublier je me sers du vin.
Il est amer ? C’est ainsi qu’il me plaît,
Cette amertume est le goût de ma vie.
Le paradis et l’enfer sont en toi.
Tu viens de briser ma cruche de vin, Seigneur.
Tu m’as barré la route du plaisir, Seigneur.
Sur le sol Tu as répandu mon vin grenat.
Dieu me pardonne, serais-Tu ivre, Seigneur ?
Quel homme n’a jamais transgressé Ta Loi, dis ?
Une vie sans péché, quel goût a-t-elle, dis ?
Si tu punis le mal que j’ai fait par le mal,
Quelle est la différence entre Toi et moi,dis ?
Quand la douleur t’accable,quand tu en viens à souhaiter
Qu’une nuit éternelle s’abatte sur le monde,
Pense à la verdure qui miroite après la pluie,
Pense au réveil d’un enfant
Ma tombe sera en un lieu tel qu’à chaque printemps
le vent du nord y répandra des fleurs.