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Artisan du mot, ouvrier de la pensée, manutentionnaire d'un verbe enragé : un métier simple et exigeant.

 

Simple car rien n'est plus simple que la sincérité.

 

Exigeant car il est facile de se tromper, de sombrer dans la triste virtuosité, dans le packaging culturel. Il est facile de faire un joli papier cadeau de mots polis et ciselés pour recouvrir la consternante banalité d'une totale absence de pensée.

 

Exigeant car il est facile de devenir ce représentant culturel, ce VRP du capitalisme à la rose qu'est trop souvent aujourd'hui l' « âaartiste conteur », aristocrate de la parole dont certains imaginent même qu'il serait bon d'empêcher les amateurs de parler...  « car vous comprenez, ils font du mal au Conte! Non mais c'est vrai, ils osent, ces insupportables amateurs, prendre la Parole en public avec leur seule sincérité. Alors que nous, conteurs professionnels, virtuoses de la parole, nous savons choisir chaque mot, peser chacun de nos gestes, avant d'offrir tel un diamant en son écrin, notre parole édifiante absolument dénuée de tout propos. »....

 

Exigeant car il faut se surveiller.

 

Être à l’affût.

 

À l’affût de toutes ces formes de pensée qui vont incognito se glisser entre nos phrases, toutes ces idées que l'on va malgré nous véhiculer, parce qu'au fond on ne connaît que cela, connaître c'est naître avec ; et depuis notre naissance on baigne dedans.

On est tout imprégné d'idées qu'on ne perçoit pas tellement elles nous collent au cerveau depuis tout petit. Alors, lorsque l'on croit parler, ce sont elles qui parlent, qui utilisent notre bouche, notre verbe, notre virtuosité d'artiste conteur devenu malgré lui pauvre metteur en verbe d'idées qui ne sont pas les siennes.

 

Exigeant donc car il faut être à l’affût,

comme une bête traquée.

 

À l’affût de ces idées qui cherchent à utiliser ma voix pour se répandre.

Comme une bête traquée par cette vision du monde que je connais, je suis né avec, et qui sait si bien cacher son répugnant visage derrière le fard coloré du divertissement culturel, du sacro-saint Art, derrière l'émouvant visage de cet artiste, de gauche bien sûr, qui s'évertue à crier à la face du monde son désarroi avant d'aller se pinter au kir royal dans les couloirs d'Avignon, de Cannes ou d'Aurillac.

 

Pendant ce temps des enfants sont expulsés du pays des droits de l'homme, des ouvriers sont licenciés, la Libye est bombardée, le Mali se fait saigner.

 

Et Homère, Villon, Hugo, Giono serrent les poings et pleurent de rage en voyant que plus on les lit, moins on les entend.

 

Eric Derrien 2013

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