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Nurit Peled-Elhanan

 

Être la mère d'un détenu

 

 

Il est de notoriété publique que parler de Paix, de fraternité, et de relations harmonieuses avec nos voisins Palestiniens et avec les Pays Arabes qui nous entourent ainsi qu'avoir le souci de l'autre ( non-Juif ) sont considérés comme des crimes en Israël.

Tout au contraire, tuer des Palestiniens, empoisonner leurs puits, et détruire leurs moyens d'existence , les affamer, les incarcérer et les torturer, eux et leurs enfants, sont de «  bon ton » en Israël.

Ces derniers jours, en tant que mère d'Elik, un des passagers qui voguaient à bord du Estelle dans une tentative de briser le Siège de Gaza et d'aider l'opinion publique à prendre davantage conscience de ce crime j'ai moi-même expérimenté ce «  bon ton »

Les accusations contre mon fils et ses deux amis, Yonatan Shapira et Reut Mor dont les corps ( et les âmes) frémissent encore de la brutalité des rayons des Tyser , des coups et des plus viles humiliations ont fondu comme neige au soleil au cours des heures; on est passé de «  Aide consciente à l'ennemi », «  Incitation et encouragement à la révolte » et , «  introduire clandestinement un navire non-humanitaire » jusqu'à  «  entrer illégalement dans une zone de la Terre d'Israël qui est à l'extérieur d'Israël » mais même cette accusation a été rejeté immédiatement pour des raisons évidentes.

Ces accusations venaient en réponse à un ordre direct du Chef d'Etat-Major des Armées, qui honteusement avait demandé – tous les journaux s'en sont faits l'écho - de trouver une raison, n'importe quelle raison pour les arrêter.

Cependant, dans les moments de désespoir, j'ai commencé à suspecter que ce Chef d'Etat Major des Armées avait probablement reçu des ordres , et de qui ? De nul autre, sinon le meilleur ami de ma jeunesse pour «  donner à ces gauchistes une leçon qu'ils n'étaient pas prêts d'oublier » , afin que nul ne puisse dire que le Premier Ministre avait été influencé dans une période électorale par le fait qu'un des marins était le fils de son amie d'enfance, celle-là même qui avait perdu sa fille pendant le premier mandat de Premier Ministre de Bibi.

Pauvre Chef d'Etat Major, ses efforts ont été vains , mais ne vous faites pas de souci pour lui , il s'est déjà libéré de sa frustration sur les Gazaouis... comme d'habitude.

La police Israélienne nous a traités, nous les familles et amis des détenus comme les complices d'un crime. Ils nous ont laissés pendant 15 heures à l'extérieur des grilles sévèrement gardées du poste de Police. Ils ont aboyé sur nous – Dans un style très Américain - à chaque fois que nous posions une question et ne nous ont pas laissé une seule chance ne serait-ce que d'apercevoir nos enfants.

Par chance, l'officier chargé de l'enquête est tombé sous le charme de Yonatan, il l'a laissé appeler sa mère quelques fois pendant l'enquête et finalement est sorti pour la rencontrer et présenter ses respects à «  la mère de Yonatan » . Tzvia m'a montrée du doigt : «  La mère d'Elik » et il nous a laissé entrer toutes les deux. ( les pères ne comptent pas quand il s'agit de rencontres sentimentales)

Les menottes à leurs poignets et à leurs chevilles n'arrivaient pas à faire pâlir le rayonnement qui émanait de leurs visages et qui était le reflet de deux semaines de traversée en Méditerranée en compagnie des meilleurs humains qui soient.

L 'officier a demandé à Yonatan de donner les lacets de ses chaussures à sa mère . Courbé vers le sol, il a tout d'un coup levé les yeux et dit : «  Maman, tu te rends compte que si nous avions été en Syrie,tu n'aurais jamais pu venir me voir. Tu te rends compte , Maman, dans quel Etat nous sommes! Donc il reste encore une chance, il reste encore une chance! »

Puis, il a scruté, autour de lui les visages hésitants des policiers et j'aurais pu jurer qu'à ce moment-là, tout le poste de police l'aurait suivi pour forcer le Blocus de Gaza s'il le leur avait demandé.

 

Nous sommes sortis du poste de Police accompagnés de deux officiers qui s'étaient portés volontaires avec enthousiasme pour porter les sacs à dos d'Elik, Reut et Yonatan.

Le même officier enquêteur a paru à la Cour le lendemain comme plaignant, en blue-jean et chemise à carreaux d'un bleu et rouge tendres. Je l'ai à peine reconnu mais il a ri en montrant les trois «  criminels » et il a dit :  Je ne trouvais pas juste de venir en uniforme pour ces trois-là » Je lui ai suggéré de ne jamais reprendre l'uniforme et de rejoindre «  nos forces » . Et j'ai pu sentir qu'il semblait secrètement heureux quand toutes les accusations et toutes les sentences qu'il avait réclamées ont volé en poussière.

Cependant, d'autres représentants de la Loi furent beaucoup plus fidèles à leur Etat et à son état d'esprit officiel. Tandis que nous attendions pour nos enfants au Palais de Justice, un homme de Loi à l'aspect irréprochable s'est avancé vers nous et nous a interpellés : «  Je vous aurais tous tués en pleine mer si seulement je l'avais pu » . Et il a remonté la jambe de son pantalon pour nous montrer les raisons de ses envies de meurtre : une prothèse de jambe en plastique, «  un cadeau des Arabes » . Puis il écrivit son nom- Haïm Shetrit – sur une feuille de papier qu'il me remis en me pressant d'intenter un procès contre lui. Un homme de Justice, sans aucun doute.

Le lendemain on nous a appelés de nouveau, gardiens et prisonniers, pour des prélèvements ADN. Cette fois, nous avons été autorisés à nous asseoir dans la salle d'attente du poste de Police , où nous étions dévisagés comme des bêtes curieuses. Un officier de Police nous a demandé de nous lever et de laisser la place «  aux citoyens qui méritent de s'asseoir ici » et une jeune femme policier à la queue de cheval espiègle s'est écriée :  « C'est eux les gens de la Flotille ? Donnez-moi un fusil que je les descende tous ! »

Tous ceux-là réussiront sans aucun doute les tests de loyauté de Libermann quand le temps sera venu.

 

 

Traduction française : Roseline Derrien

 

 

 

 

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